Nicholas Régnier – Jeune Femme à sa Toilette ou Vanité (1630-1635)


Vanité

Skylar M. Tanski

“Vous allez être mon chef d’œuvre. Je vous ai rendu plus belle que toutes les femmes vivantes.”

Elle ne daignait pas le regarder pendant qu’il parlait, trop absorbée par son reflet dans le miroir. 

“Tu t’accordes trop de crédit, Nicholas. Je me maquille.”

Elle examinait les fleurs qu’elle tenait dans ses cheveux. Elles illuminaient son teint.

“Oui, mais vous êtes vraiment immobile. Vous n’êtes qu’une image–un objet que je peins.”

Son bras était positionné avec une délicatesse délibérée pour accentuer la forme élégante de ses doigts. 

“Mais je suis en mouvement. Je ne suis pas immobile. Je suis en train de m’embellir. Je crée mon image au moment où nous parlons.”

Ses lèvres étaient arrondies–comme si elle le ridiculisait pour son ignorance. 

“Vous êtes immobile! Vous êtes piégée ici, dans ce moment dans lequel je vous place. Tout ce que vous pouvez faire, c’est d’être changée par d’autres; ou peut-être d’entrer dans la nonexistence lorsque j’abandonnerai ce projet–et vous serez toujours immobile et inanimée.”

Le châle tombait de son épaule, mais son expression durait. 

“C’est triste, à mon avis, que vous vouliez créer quelque chose juste pour le bénéfice que vous obtenez par son nonexistence.”

“Quoi, alors? Est-ce que je dois être liée à vous comme Pygmalion, sans jamais considérer ce tableau comme terminé pour que la possibilité des changements soit la seule chose qui puisse vous animer?”

Ses sourcils étaient légèrement courbés. 

“Peins-moi ou ne me peins pas. Je prévois de me maquiller avec ou sans ton pinceau.”

Il a soupiré, et a remarqué que ses yeux brillaient. Au bord des larmes peut-être, larmes qui n’étaient pas encore tombées. Ou était-ce simplement le reflet de la lumière qui la touchait et projetait une ombre sur une partie d’elle. 

“Je vais le répéter, tu n’es pas si important que tu penses.” Sa tête s’inclinait d’un air pensif. “Peut-être que tu aimes juste me distraire de finir de m’embellir.”

De toutes façons, elle ne comprendrait pas. Pourquoi restait-elle si indifférente?

“Vous ne pouvez pas finir. Vous ne pouvez pas. Pas sans mon aide. Le maquillage que j’élabore pour vous est en progrès. Mais vous n’êtes que le produit de mon imagination. C’est moi qui vous invente et qui vous crée. Vous existez parce que j’existe.”

Son visage était incrédule. “Alors, quand vous mourrez, je vais disparaître.” 

“Non. Je ne sais pas. Peut-être que vous allez continuer et peut-être pas. Vous aurez peut-être une inexistence éternelle. Ou peut-être que vous allez vous modifier avec le temps qui passe, ou par le talent d’un autre artiste, ou par la décoloration du soleil.”

“C’est ça, alors, ce que vous me racontez. Que j’ai été créée et cela implique que je peux être changée, mais que je ne peux pas changer?”

Ses épaules étaient rigides dans l’attente de sa réponse. 

“Je ne sais plus. Je ne m’inquiète plus non plus. Vous n’êtes pas mon chef d’œuvre, vous êtes l’échec.”

Elle était gentille maintenant. “Donc… J’ai changé? Du chef d’œuvre à un échec?”

Je vous ai modifié.”

Les deux sont restés silencieux pendant un moment.

“Alors, je vais découvrir ce qui se passe quand on est abandonné par Dieu?”

“Ça ne vous fait pas de mal, je pense. Vous avez peur maintenant, mais qui sait si cette œuvre est vraiment terminée? Le temps est curieux. Et si je finis, la nonexistence ne sera pas triste pour vous. Elle ne sera… rien.”

“Oui, mais je ne veux pas finir ici. Je veux me maquiller. Et parler avec vous. Et changer.”

Mais alors, il a tout à coup décidé que sa pose était trompeuse, parce qu’elle ne se maquillait pas vraiment. Ou, si elle se maquillait, elle priait en même temps. Et elle était triste d’avoir reçu une réponse. 

“Alors, très bien. Existez! Changez, si vous pouvez sans mon aide. Votre image restera la même, mais votre sens n’a pas la même intransitivité.”

“J’existerai et changerai de toute façon, vous savez. Le moi est le produit du moi. Je voulais que vous soyez là avec moi.”

Il a posé son pinceau. 

“Donc vous allez répondre à mes prières ?” Ses joues étaient d’un rose clair et plein d’espoir. 

“Oui, mais je ne vais plus changer votre monde. Pas physiquement.”

“Ça n’est pas ce que j’ai voulu. Votre rôle était de peindre. Je peux continuer seule.”

Et c’est alors que l’image a cessé de changer physiquement, mais l’impression qu’elle lui donnait changeait fréquemment, et il entendait même quand elle priait, et lui répondait toujours, et le sens qu’elle avait créé pour elle n’était pas toujours le sens qu’il lui donnait, et peut-être qu’elle n’existait que pour lui, mais en tout cas qu’elle existait.