Pierre-Auguste Renoir – Le Déjeuner des canotiers (1881)


La rêverie d’Amélie

Emily Pieczyrak

Les bavardages autour de moi ne m’empêchent pas d’écouter le chant des oiseaux. Je suis assise à la table d’un restaurant de canotiers sur un porche avec vue sur la rivière. Je pense que quelqu’un essaie de me parler. J’écoute toutes les conversations des autres avant de commencer à prêter attention aux choses absurdes que me raconte mon voisin.

Madame Bouvard ne peut pas arrêter de se vanter de son nouveau bébé. Le chiot. «Regardez! Il est si mignon, n’est-ce pas?» «Il m’adore»  dit-elle en l’embrassant.

Personne ne l’écoute, mais elle continue. «Mon mari est vraiment le meilleur. Il sait ce qui me rend heureuse.» Sa voix commence à ressembler à celle d’un perroquet qui n’arrête pas. Le chiot bave partout sur sa robe.

Monsieur Verley et Monsieur Fournier parlent de problèmes d’argent et des affaires derrière moi. Leurs voix monotones créent un rythme que notent mes oreilles et que mon cerveau enregistre.

Monsieur et Madame Faraday parlent avec Monsieur Boucher. Les hommes essaient de la convaincre d’acheter une autre maison qui est au bord de la rivière.

«Ma chérie, nous avons plus qu’assez d’argent pour ça. Imagine, tu pourras lire en écoutant le clapotis de la rivière.»

«Mais Jacques! Nous n’en avons pas besoin.»

«Madame, si je peux dire, votre mari est vraiment amoureux de la pêche. Et, si vous n’êtes pas d’accord avec l’achat d’une maison sur la rivière, il l’achètera quand même.»

«Monsieur Boucher, s’il vous plaît, c’est un sujet privé entre moi et mon mari. Maintenant n’est pas le moment de discuter de ces problèmes.»

«Annette, s’il te plaît–»

«Non»

Ils continuent leur bavardage et je regarde Madame Bouvard et la petite boule de poils qui est assise sur la table. Sa queue tapote les bouteilles et les verres du vin. Madame Bouvard est trop absorbée par le petit chien et sa gentillesse pour remarquer ce qu’il est en train de faire. Je vois sa queue se balancer, faire tomber l’un des verres qui se fracasse sur le parquet. Madame crie ses excuses. «Oh! Je suis vraiment désolée! Ma petite Mimi est une faiseuse de problèmes.» Le propriétaire dit que ce n’est pas grave, de ne pas s’inquiéter.

Je mange du raisin et un petit morceau de fromage. L’homme qui est assis à côté de moi essaie de parler avec moi.

«Mademoiselle Amélie, je veux dire que vous avez les plus jolis yeux. Ils sont vraiment magnifiques.»  «Vraiment? Merci.»

«Mais, vraiment! Ils me rappellent les canards. J’aime les canards. Est-ce que vous savez que je chasse? J’aime chasser les canards.»

J’examine comment Mademoiselle Elena feint un intérêt pour les affaires de Monsieur DuBay. C’est sa manière de trouver un mari ou peut-être un partenaire pour la nuit. Elle s’appuie légèrement sur la balustrade. Elle a une main qui soutient sa tête. Elle lui offre un petit sourire. Elle feint l’innocence.

Un autre homme se penche sur sa femme, qui dit quelque chose à l’un des propriétaires. Toutes les voix se mélangent et je bois un verre d’eau.

Je regarde les bateaux sur la rivière. Mes pensées errent. Il y a quelqu’un qui m’a emmené faire un tour en bateau. C’était ici. C’était Antoine qui m’a montré ses lieux préférés sur la Seine. Il ne parle pas d’argent ou d’affaires. Il ne parle pas de pêche ou de chasse. Il ne comparait pas mes yeux avec le brun des canards. Il comparait mes yeux avec les étoiles.

Pendant une soirée il m’a guidée dehors pour prendre l’air. Nous nous sommes promenés dans les jardins. Je n’ai jamais parlé de fleurs avec un homme mais lui m’écoutait quand je faisais des commentaires sur des roses et des œillets et les différences qui existent entre ces fleurs. Il m’a simplement regardée. Et ses yeux! Ils sont comme l’océan lorsqu’une tempête est sur le point d’éclater. Je les regardais quand il a dit que mes yeux étaient comme les étoiles. Cela m’a surprise et je lui ai demandé comment cela se pouvait puisque mes yeux sont bruns et ne brillent pas. Alors il a souri d’un air satisfait et il s’est approché.

«Voyez-vous les trois étoiles d’affilée?» Il s’est penché, son visage très proche du mien, et a pointé le ciel sombre du doigt.

«Oui, je les vois maintenant.»

«C’est la ceinture d’Orion. Le reste de la constellation est plus difficile à décrire, mais c’est Orion.»

«Montrez-moi.»

Nous avons passé beaucoup de temps à regarder le ciel. Après un long moment, je me suis souvenue qu’il me n’avait pas dit pourquoi mes yeux sont comme des étoiles. Je lui ai reposé la question:

«Alors, vous ne m’avez jamais répondu. Pourquoi mes yeux vous rappellent les étoiles?»

«Ah» Il a détourné sa tête du ciel pour me regarder. «Parce que je n’arrive pas à cesser de  les regarder.»

Je n’ai pas su quoi répondre. Nous sommes restés à nous regarder jusqu’à ce que ma sœur nous trouve.

«Souhaitez-vous voir ma collection d’armes ?» Le bruit revient. L’homme qui me parlait ne me regarde qu’une seconde avant de continuer. «Vous devez venir me rendre visite à ma résidence la semaine prochaine.»

J’acquiesce avec un léger mouvement de tête. Je ne le regarde pas. Je prends un autre raisin et mon verre d’eau. Les bateaux flottent sur la rivière. Les oiseaux gazouillent. Je me concentre sur la brise qui fait flotter les volants de ma robe et les pétales de fleurs de mon chapeau.


Citations

Renoir, Pierre Auguste. Luncheon of the Boating Party. 1880-81. Artstor, library-artstor-org.ezproxy.drew.edu/asset/APHILLIPSIG_10310732614

Renoir, Pierre-Auguste. “Luncheon of the Boating Party – Pierre-Auguste Renoir – Google Arts & Culture.” Google, Google, artsandculture.google.com/asset/luncheon-of-the-boating-party/mgHsTKDNJVzPAg?hl=en. Accessed 17 Apr. 2024.