Claude Monet – Nymphéas et pont japonais (1899)


Une journée de printemps

Lauren Geiger

J’imagine une journée de printemps, réchauffée par le soleil et remplie de renouveau. De nombreux samedis de mon enfance, ma grand-mère était chargée de s’occuper des enfants : mon frère et moi. Alors, comme d’habitude, elle allait chercher sa voiture de couleur crème, couleur de ses cheveux, et nous conduisait au parc. Ce parc était spécial et pas seulement pour son équipement de jeu, bien que son terrain de jeu ait été vraiment divertissant. Non, ce parc était spécial car ma grand-mère était la seule personne qui nous y emmenait.

Quand nous avons entendu le son de la voiture sur le gravier, mon frère et moi savions que nous étions arrivés. Nos petites têtes, à peine visibles au-dessus du siège de la voiture, regardaient par la fenêtre et cherchaient d’autres enfants. Pas de problème s’il n’y avait pas d’autres enfants ; nous étions ensemble. Le bavardage de deux enfants sur la banquette arrière, qui ressemblait à la chanson de deux oiseaux, était suffisant pour ma grand-mère ; elle savait que nous étions prêts à jouer et elle nous disait, « Allez, mes chéris… mais faites attention ! »

Comme deux chevaux de course, mon frère et moi courions jusqu’au parc. Nous nous balancions à la cage à poule, nous nous envolions dans le ciel grâce à la balançoire, et glissions sur le toboggan. Et bien que Grammy ne soit plus toute jeune, elle nous attendait au bas du toboggan avec un sourire sur son visage. Elle s’asseyait sur un banc public et regardait ses petits-enfants à travers ses lunettes de soleil. Ses yeux bleus voyaient tout : l’éraflure sur mon genou quand je suis tombée, la lueur dans les yeux de mon frère quand il a découvert que nous avions toute l’aire de jeu pour nous seuls, et les regards de terreur et d’enthousiasme quand nous avons joué au loup. Elle nous regardait avec l’amour dans son cœur et dans ses yeux.

Quand nous étions fatigués, nous nous asseyions sur le même banc public et l’écoutions raconter des histoires sur sa vie. Des histoires sur ses voyages en Europe. Elle avait aussi vécu lorsque le laitier livrait encore le lait et elle avait fonctionné sans Internet. Elle avait assisté à la seconde guerre mondiale, à l’assassinat de John F. Kennedy, au mouvement des droits civils, à la guerre du Vietnam, à la guerre froide, et à beaucoup d’autres choses que je lisais dans mes cours d’histoire. Elle débitait les détails comme si c’était hier. Envoûtés par les histoires, mon frère et moi la regardions, bouche-bée et nos yeux écarquillés. Nous étions étonnés par elle autant qu’elle était émerveillée par nous.

Cependant, comme nous étions des gamins, ces histoires ne retenaient pas notre attention très longtemps. Au bout d’un moment, nous nous échappions et sautillions joyeusement sur le chemin de gravier qui était attaché à un petit pont. Ce pont traversait l’étang où l’eau était stagnante, sauf lorsque nous prenions des cailloux pour faire des ricochets. Certains jours, la couleur bleu pâle du ciel se reflétait sur l’eau, la couleur des yeux de ma grand-mère. La mare avait un effet apaisant, et pendant quelques minutes, nous contemplions l’eau en silence. Nous regardions le mouvement des canards, l’élégance qu’ils possédaient quand ils glissaient sur l’eau. Les abeilles volaient autour des joncs. Et de temps en temps, nous repérions une grenouille qui bondissait sur un nénuphar. Souvenirs de sons et d’images évoqués par le tableau de Monet, Nymphéas et pont japonais.

Quand le bavardage cessait, Grammy savait qu’il était temps de partir. Cependant, si mon frère et moi la suppliions, nous ne rentrions pas directement chez nous. Elle nous emmenait chez un marchand de glaces, et mon frère et moi commandions une boule de glace à la vanille et au chocolat avec des vermicelles multicolores. À ce jour, mon frère commande encore la même chose, mais il ne se contente plus d’une boule ! La chaleur du soleil faisait fondre nos glaces, les côtés de la coupe dégoulinant de glace. Mais Grammy avait toujours des serviettes et essuyait nos doigts collants. Rassasiés après notre goûter, nous nous endormions dans la voiture. J’imagine ma grand-mère regardant deux visages somnolents dans le rétroviseur.

La vie était simple. Et maintenant, ma grand-mère a quatre-vingt-treize ans. Les jours de beau temps, elle va toujours au parc. Elle lit les journaux, regarde les canards et parfois les cygnes, elle écoute de la musique classique dans sa voiture, et s’endort. Le parc est un lieu de paix pour elle, un endroit où elle peut réfléchir à sa vie. Cette collection de souvenirs est aussi la sienne.  

Je connais cette collection de souvenirs comme le fond de ma poche. Ce sont des souvenirs de tranquillité. Ce sont des souvenirs d’amour.


Citations

Monet, Claude. Nymphéas et pont japonais. 1899. Artstor, https://library.artstor.org/#/asset/APRINCETONIG_10313684987.